La religion en quelques mots et en quelques dates
Allah
Pour les musulmans, c'est le nom du dieu unique - dieu également des deux autres religions monothéistes, le judaïsme et le christianisme, bien qu'il ne s'appelle pas pareil1. Dans les langues sémitiques, dont font partie l'araméen, l'hébreu et l'arabe, la racine «Al» ou «El» sert à nommer Dieu. L'Ancien Testament en a conservé de nombreuses traces. Combien d'adorateurs du Seigneur, anges ou hommes, portent en leurs noms le signe de soumission à Dieu: Gabri-el, Isma-el, Micha-el, Isra-el. Elohim (Eloah) revient plusieurs fois dans l'Ancien Testament pour désigner le dieu des hébreux. En araméen, la langue du Christ, on dit Alah. En islam, Allah est également le nom que le croyant emploie pour s'adresser à Dieu personnellement car, dans le Coran, le Créateur a 98 autres noms. Dans le Tanakh, la Bible hébraïque, le tétragramme YHWH est présenté comme le nom propre de Dieu. Cette expression fut entendue par Moïse au sommet du Mont Horeb dans le Sinaï. Les chrétiens l'ont parfois transcrit par Yahvé ou Jéhovah.
Les temps très anciens
Hegel nous rappelle dans sa Philosophie de l'Histoire que «la religion est le lieu où un peuple se définit à lui-même ce qu'il considère comme la vérité». Dès lors, choisir arbitrairement quelques dates et mots évocateurs pour l'homme contemporain ne saurait interdire un survol aussi fondateur que superficiel au dessus des temps très anciens des croyances et des religions.
Les premières sépultures, il y a 50 000 ans, et sans doute le premier langage narratif relatant les mythes, ont vu naître l'homme moderne (sapiens sapiens). Les vestiges de la préhistoire parvenus jusqu'à nous ne laissent guère de doutes sur la parenté des croyances ou religions (chamanisme ou animisme) avec celles des peuples chasseurs de Sibérie ou d'Afrique, des aborigènes ou des indiens du Mexique.
Le bouleversement climatique de la fin de la dernière glaciation suivie de pluies diluviennes a bouleversé l'équilibre écologique et a préparé les véritables débuts de la civilisation grâce à la diffusion de l'agriculture et de l'élevage. Les nouvelles religions se caractérisent par des prières, les bras tendus vers le ciel, par des représentations de la déesse mère et par le Taureau. Comme Zeus, il rétablit la prospérité et arrête le cycle des destructions. On le retrouve chez les cananéens (Baal), mésopotamiens (Marduk), égéens (Minotaure) ainsi qu'en Égypte (Apis) et en Inde (mère des dieux Aditi puis la grande déesse Kâli). Pour échapper à la destruction, les hommes doivent servir les dieux, travailler pour eux et leur offrir des sacrifices. Cette dette originelle envers le Sauveur et cette culpabilité seraient fondatrices de l'histoire dont nous sommes les héritiers.
Plus proche de nous, la tradition des indo-européens remonterait au-delà du troisième millénaire, aux éleveurs nomades de l'âge de Bronze. La religion des premiers aryens avant la division entre indiens et iraniens se caractérise par la dualité des dieux, ainsi que la dualité du premier d'entre eux (roi et mage) combiné à la représentation des trois fonctions (guerriers, prêtres, travailleurs). Le prêche de Zarathoustra (vers 700 av. JC) contre cette tradition préfigure le Christ, mais plus encore Mahomet car il se présente comme seul interprète du dieu dont il transmet la révélation.
La synthèse des sectes esséniennes (héritière de la Perse à travers Isaïe), de la philosophie (stoïcienne et néoplatonicienne) et des religions agricoles (le pain et le vin) s'est d'abord faite à Alexandrie. La Création (qui change l'avenir), l'Incarnation (Dieu fait homme) et la Rédemption (amour de Dieu) et le message «aime ton prochain comme toi-même» sont déjà là. La liberté est créatrice, amour, charité. Elle s'abandonne à la foi et à l'amour jusqu'au sacrifice de soi qui sauve. Cette théologie se réfère au sermon sur la montagne d'origine essénienne qui annonce le triomphe la crucifixion. C'est l'universalisation de la religion des anciens esclaves juifs.
Année 0
Dans les dernières années du règne d'Hérode Ier le Grand: naissance de Jésus. Les astronomes utilisent une année 0, d'une part, en raison de la règle de divisibilité par quatre qui s'applique pour retrouver les années bissextiles (hors les années divisibles par 400) et, d'autre part, car deux années successives diffèrent toujours de 1, contrairement à la notation usuelle, pour laquelle le passage de l'an -1 (pour 1 av. JC) à l'an 1, compterait pour deux ans si l'on faisait la soustraction. L'année 0 a été introduite par Jacques Cassini en 1740 dans ses Tables astronomiques.
C'est le moine scythe Dionysius Exiguus ou Denys le Petit, qui est à l'origine du rattachement du calendrier à la vie du Christ. On comptait alors conformément à l'usage romain, c'est-à-dire à partir de la fondation de Rome. La proposition fut adoptée en 532, puis généralisée au VIIe siècle avant de devenir, en l'an 1000, le seul calendrier sur les actes officiels. Dans son troisième livre consacré à la vie de Jésus, l'ancien pape Benoît XVI estime que le moine «s'est à l'évidence trompé de quelques années dans ses calculs».
La naissance du Christ sera suivie de l'extermination et de la déportation des juifs en Sardaigne par Tibère (42), de la destruction du temple de Salomon par Vespasien et Titus et d'une politique de décimation par Trajan (117). Les chrétiens seront également martyrisés jusqu'aux conversions du roi arménien Tiridate III (297), puis de l'empereur Constantin et du roi d'Hibérie (Géorgie) en 337.
Le christianisme sera la religion de l'empire romain. L'unité d'un empire regroupant de si nombreux peuples ne pouvait se satisfaire de la divination de l'empereur, d'une religion romaine hellénisée, utilitaire, imprégnée de superstitions et confisquée par l'aristocratie patricienne. La distance païenne entre les dieux et les hommes est abolie par l'incarnation de Dieu dans l'homme et la divination de l'homme par son péché originel.
73
Au début de la Grande Révolte contre les Romains, un groupe de rebelles juifs prit la forteresse de Massada. En 72, un légat, le général commandant l'armée romaine de Judée, marcha sur Massada avec la Légion X Fretensis et six cohortes et construisit un mur d'encerclement. Le désert rendait toute fuite impossible. Quand les légionnaires pénétrèrent enfin dans la forteresse le 16 avril 73, ils découvrirent que les défenseurs avaient mis le feu à tous les bâtiments, à l'exception des entrepôts de nourriture et qu'ils s'étaient suicidés en masse plutôt que de risquer une capture ou une défaite certaine. Le «complexe de Massada» désigne aujourd'hui l'idée selon laquelle, dans une perspective sioniste, Israël serait le dernier refuge à préserver à tout prix. Après la première grande diaspora consécutive à la fuite de Babylone en 596 av. JC, l'empereur Hadrien provoque la deuxième grande diaspora. Les juifs se dispersent vers l'Occident et l'Orient. En souvenir, le serment que prêtent aujourd'hui les soldats de l'armée israélienne est «Chenit Matzada lo tipol» (Massada ne tombera une nouvelle fois).
312
Converti en 312 et baptisé sur son lit de mort en 337, conformément à la coutume en vigueur à l'époque afin de se faire pardonner ses péchés, Constantin qui était alors atteint de la lèpre, aurait dû prendre un bain du sang de nouveau-nés pour se soigner. Il ne put s'y résoudre. Saint-Pierre et SaintPaul lui apparurent en songe et lui conseillèrent de retrouver l'évêque Sylvestre sur le mont Soracte. C'est ainsi qu'il fut baptisé et soigné.
Depuis la tétrarchie mise en place par Dioclétien (III siècle) pour faire face aux invasions barbares, les empereurs ne vivaient plus systématiquement dans Rome, mais dans des résidences proches des secteurs qu'ils ont la charge de défendre. Alors que Rome est sans cesse sous la menace des germains, Constantin décide en 324 de transformer la cité grecque de Byzance en une «nouvelle Rome» à laquelle il donne son nom. Elle est située près des frontières du Danube et de l'Euphrate, là où les opérations militaires pour contenir les goths et les perses sont les plus importantes. Assez rapidement, la ville devient presque exclusivement chrétienne et Constantin fait construire des édifices religieux dont l'église de la Sagesse Sacrée, plus connue sous le nom de Sainte-Sophie.
25 décembre 498
À peine élu à la tête des Francs saliens, une tribu germanique établie dans l'Empire romain, sur les bords du Rhin inférieur et dans l'actuelle Belgique, Clovis le Païen entreprend la conquête de la Gaule. Après avoir vaincu et fait égorger Syagrius, un général qui s'intitule roi des romains sur un territoire entre la Meuse et la Loire, Clovis installe sa résidence à Soissons et pénètre progressivement un milieu très romanisé et de religion catholique. Influencé par l'évêque de Reims, Saint Rémi, il comprend l'intérêt de se rallier aux gallo-romains en adoptant leur religion. La légende veut qu'au cours de la bataille de Tolbiac contre la tribu germanique des Alamans, Clovis ait imploré le secours du dieu de sa femme Clothilde, pieuse catholique et fille du roi des Burgondes, et résolu de se convertir, ce qu'il fit deux ans plus tard. Cette conversion permettra à Clovis de se faire conférer le titre de «consul des romains» par l'empereur de Constantinople, autrement dit le droit de diriger en théorie tout l'Empire romain d'Occident depuis la déposition du dernier empereur en 476 par les Ostrogoths.
610
L'An I de l'Hégire. Mahomet raconte lui-même sa première révélation: «Tandis que je dormais, l'Ange Gibrîl (Gabriel) se présenta à moi, tenant un livre dans un étui en feutre brodé (...). Lis au nom de ton Seigneur qui a créé! Il a créé l'homme d'un caillot de sang. Lis! (...) (Coran 96, 1-5). Je lus». Après son réveil, Mahomet alla sur une colline et entendit une voix du ciel crier: «Muhammad, tu es l'envoyé de Dieu et je suis l'ange Gibrîl».
La charte de Médine, dite charte de l'an 1, dit en substance que les musulmans de Quraysj, ceux de Médine et ceux qui combattent avec eux forment une communauté («umma») unique, distincte des autres peuples. Les juifs qui les suivent font partie de cette communauté et ont droit à l'aide des musulmans. C'est un front uni de Médine contre les païens de La Mecque. C'est précisément à ce moment là que survint une révélation de Dieu à son envoyé: «Le combat vous est prescrit, même si vous l'avez en aversion» (Coran 2, 216). Commençait alors le temps du Jihâd.
Gabriel
Gabriel (de l'hébreu:[ġabrīēl]), qui signifie la force de Dieu ou Dieu est ma force, est le messager de Dieu dans l'Ancien Testament, le Nouveau Testament et le Coran. Dans les monothéismes abrahamiques, Dieu communique avec ses prophètes soit par l'intermédiaire d'anges, soit par des visions ou des apparitions.
Dans l'Ancien Testament, il annonce une prophétie dans le livre de Daniel (VIII, 17): «Gabriel s'approcha de l'endroit où je me tenais. Terrifié, je me jetai le visage contre terre, mais il me dit: "Toi qui n'es qu'un homme, sache pourtant que cette vision concerne la fin des temps"».
Dans le Nouveau Testament, il annonce à Zacharie que sa femme Elisabeth aura un fils qu'il appellera Jean puis il annonce la naissance de Jésus à la Vierge Marie (Le, I, 11-20 et 26-38): c'est l'Annonciation. Gabriel (Djibrîl ou Gibrîl en arabe) est enfin celui qui révèle les versets du Coran à Mahomet dans la grotte de Hira.
661
L'assassinat d'Ali, gendre du prophète et quatrième calife, provo que la scission entre sunnites et chiites. Dépositaires, selon eux, d'une légitimité de sang, les partisans d'Ali («chi at Ali») se considèrent comme les seuls vrais musulmans et récusent les hadith (propos prêtés au à Mahomet) comme source de droit. Une phrase prêtée à Mahomet dit cependant: «La divergence d'opinions au sein de ma communauté est une bénédiction (rahma)» . Un autre propos prophétique annonce que l'islam se diviserait en soixante-treize sectes(«milal»). Quatorze siècles plus tard, on en compte bien davantage.
1054
La querelle du Filioque porte sur le dogme de la Trinité et plus particulièrement le rapport entre le Saint-Esprit qui procède du Père (Saint-Jean XV, 26) ou bien, depuis le IIIe concile de Tolède de 589, du Père et du Fils «ex Patre Filioque procedit». Charlemagne impose cet usage dans les offices de la chapelle palatine d'Aix. En 807, deux moines accompagnant une ambassade du calife Haroun ar-Rashid sont présents à Aix et, de retour à Jérusalem, l'introduisent dans leur couvent. Les moines grecs du couvent de Saint-Sabas s'offusquent et refusent. Au concile de 809, Charlemagne imposera cette démarche césaropapiste unilatéralement dans tout l'empire, laquelle ne sera entérinée qu'au XIe siècle dans le Credo romain. Les orientaux, en revanche, ont toujours refusé l'adjonction du Filioque au Credo.
29 mai 1453
La disparition de l'empire byzantin a déstabilisé l'Occident. Depuis sa création et pendant plus de dix siècles, ce dernier a résisté à plus de trente sièges et à de multiples assauts. Il a perpétué l'héritage gréco-romain et a protégé l'Europe chrétienne des invasions arabes. La chute de Constantinople est également considérée comme marquant la fin du Moyen-Âge. C'est grâce aux savants grecs, qui se réfugient en Italie avec leurs bibliothèques et leur savoir, que Roger Bacon ou Thomas d'Aquin redécouvrent Aristote. Ce mouvement précédera la Renaissance.
13 avril 1598
Signé par le roi de France Henri IV, l'édit de Nantes est un traité garantissant la liberté de conscience partout dans le royaume. Il reconnaît la liberté de culte aux protestants selon plusieurs limites et leur concède deux principaux «brevets»: un nombre important de places de sûreté en garantie (environ 150) et une indemnité annuelle à verser par les finances royales. La promulgation de cet édit met fin aux guerres de religion et constitue une amnistie. En pratique, l'édit de Nantes marque un tournant dans l'histoire des mentalités en France. Distinction est désormais faite entre le sujet politique qui doit obéir à la loi du roi, quelle que soit sa confession, et le croyant, libre de ses choix religieux dorénavant cantonnés à la sphère privée.
Avant sa révocation définitive, le 22 octobre 1685 par le roi Soleil, l'édit de Nantes était déjà vidé de contenu: les places fortes militaires avaient été retirées aux protestants sous le règne de Louis XIII, leur culte avait été interdit à Paris et une politique de conversions forcées avait été mise en place avec les dragonnades, en obligeant les familles protestantes à loger à ses frais un dragon (soldat), lequel devait exercer diverses pressions pour encourager la conversion. Plus de 300 000 huguenots, essentiellement éduqués et bourgeois, quittèrent le royaume pour les colonies anglaises de Virginie, la Suisse, l'Allemagne, les Pays-Bas. Il en résultat un affaiblissement de l'économie française. Sous les successeurs de Louis XIV, le protestantisme resta interdit, mais ce fut appliqué de façon moins militante et permit à de nombreuses communautés protestantes de subsister. En 1787, Louis XVI institua l'édit de Versailles qui mit fin aux persécutions. Il faudra attendre la Révolution française pour que le protestantisme retrouve totalement droit de citer.
1978
Un an après l'élection du pape polonais Jean Paul II, Rome entame le travail de sape de la division artificielle de l'Europe imposée par Staline à Yalta. Au même moment, Ronald Reagan décide lui aussi de rompre avec la fatalité du partage bipolaire. On peut dire que l'héritage géopolitique de Jean Paul II est le soulèvement de l'espérance chrétienne face au totalitarisme soviétique. La diplomatie vaticane aura joué un rôle fondamental, y compris après la chute du mur en 1990, par exemple en soutenant l'autodétermination des nations croate et slovène, avant même la reconnaissance officielle de l'Union européenne. S'appuyant sur les deux poumons de la chrétienté (catholique et orthodoxe), ce pape soutenait l'unité géographique, historique et culturelle d'une grande Europe des nations et critiquait une construction européenne uniquement centrée sur l'économie.
Polythéisme versus monothéisme
L'actuel renouveau du polythéisme ne remet pas à la mode les cultes de Jupiter et de Junon, de Vénus et de Mars. Néanmoins, lorsque l'on relit, seize siècles plus tard, le débat entre le monothéiste Ambroise, saint patron de Milan, et le polythéiste Symmaque, sénateur de la Rome païenne, on est fortement tenté de donner raison au second lorsqu'il dit: «Qu'importe par quel chemin chacun recherche, en fonction de son propre jugement, la vérité? Il n'y a pas qu'une seule voie qui permette d'atteindre un si grand mystère».
Comme le montre la répartition mondiale des religions selon la population, le polythéisme n'est pas une vieille histoire. Ce «gai savoir» a, selon Nietzsche, «le plus grand avantage»:celui d'«édifier son propre idéal et d'en déduire sa loi, ses joies et ses droits».
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1 Les Arabes chrétiens emploient eux aussi ce terme pour désigner Dieu.