Le Pivot de la Russie vers l'est
Le baptême de Vladimir en 9882, le mariage d'Anne de Kiev avec Henri Ier de France en 1051 ou encore l'arrivée à Arkhangelsk - la ville portuaire au nord de la Russie - du navigateur anglais Richard Chancellor3 en 1553 sont souvent rappelés comme emblèmes de l'ancrage de la Russie en Europe et d'une relation ancienne et amicale. L'histoire de la relation n'a pas été, cependant, à l'image d'un long fleuve tranquille et paisible: le vieux couple Occident-Russie a surtout connu des cycles tumultueux avec de fréquentes séparations de corps.
Aujourd'hui, on peut même se demander si le divorce n'est pas consommé depuis l'accumulation de malentendus réciproques et d'humiliations faites aux Russes après les années 1990. Un sondage effectué en 2000 montrait déjà que seuls 20 % des Russes se considèrent Européens, alors que 51 % estiment que la Russie est autant asiatique qu'européenne. Au-delà de ce fameux dilemme- la Russie est-elle européenne ou asiatique? - déjà largement débattu, on peut avancer que, sous l'angle russe, l'Ouest a continuellement représenté une menace à sa puissance et à son développement, tandis que la partie asiatique des empires russe et soviétique jusqu'à la période contemporaine est, malgré le climat, synonyme de stabilité, de ressources et d'opportunités. Il semble que Vladimir Poutine le Pétersbourgeois ait finalement assimilé cette évidence historique et décidé de déplacer son centre de gravité bien à l'est de Moscou.
La menace venant de l'Ouest
Au XIII siècle, au moment où les principautés russes subissent le joug mongol, elles doivent également compter avec d'autres menaces venues de l'Ouest. La région de Novgorod, au nord-ouest du pays, va se trouver en première ligne. Les Suédois s'étaient emparés des rives du lac Ladoga et s'avançaient en Russie, peut-être avec le projet de convertir les populations au christianisme latin. C'est ici qu'intervient la figure d'Alexandre Nevski qui infligea aux Suédois un coup d'arrêt dans leur progression. Prince de Novgorod puis grand-prince de Russie, Alexandre (1219-1263) obtient une victoire décisive le 15 juillet 1240 sur les rives de la Neva - ce qui lui a valu son surnom.
À la même époque, l'offensive des Teutoniques sur Novgorod s'inscrit dans la marche vers l'Est - Drang nach Osten - germanique. Rien ne semblait devoir arrêter la progression de l'ordre militaire né en Terre Sainte à la faveur des Croisades. Les chevaliers allemands s'emparent de Pskov en 1241. Le 5 avril 1242, Alexandre livre sur les eaux gelées du lac Peïpous la bataille immortalisée en 1938 par le cinéaste Serge Eisenstein. Une victoire inscrite dans la mémoire russe, mais qui n'écartait pas complètement, loin de là, le danger. L'historien Nicolas Riazanovsky nous rappelle ainsi qu'entre 1142 et 1446, Novgorod a dû combattre les Suédois vingt-six fois, les Porte-glaive, puis les Teutoniques, onze fois, les Lituaniens quatorze fois et les Norvégiens cinq fois4.
Les invasions lituaniennes se sont étalées sur plusieurs générations de grands-ducs. Ils ont d'abord annexé la principauté de Polotsk en 1307, puis celle de Vitebsk en 1318 et de Brest l'année suivante avant de poursuivre leur extension territoriale en s'agrandissant de la principauté de Tourov et du bassin de la Bérézina jusqu'à même atteindre le rivage de la mer Noire, puis de s'emparer de Kiev et de l'Ukraine. Moscou demeura cependant hors de leur portée. Trois tentatives en cette direction se conclurent sur des échecs mais, en 1395 le grand-duc Vitovt parvient à prendre Smolensk et son territoire. Cette poussée lituanienne aurait pu entraîner la naissance d'un État commun russo-lituanicn car le russe était à cette époque la langue officielle du grand-duché et les deux aristocraties étaient liées par de nombreux mariages, mais l'unification des deux États est confirmée en 1447 quand Casimir IV devient roi de Pologne, tout en conservant le grand-duché de Lituanie. Ce grand État désormais de langue polonaise avait adhéré au catholicisme et s'était ainsi ouvert aux influences occidentales. Sur le plan politique, l'aristocratie d'origine russo-lituanienne était également séduite par le modèle politique polonais de monarchie élective, favorable à la noblesse et aux antipodes du système politique moscovite inspiré à la fois de l'héritage byzantin et de l'exemple des Khans mongols. Il y a là l'origine d'un antagonisme profond. Plusieurs guerres opposèrent Russes et Polonais, ces derniers allant jusqu'à occuper et incendier Moscou. Le péril polonais est finalement conjuré par une victoire russe, conclue en 1667 avec la conclusion de la trêve d'Androussovo.
Au cours des décennies suivantes, c'est l'ennemi suédois qui apparaît à nouveau comme le plus dangereux. La Suède de Gustave-Adolphe a réussi, durant la première moitié du XVII siècle, à imposer son hégémonie sur la Baltique; à l'avènement du jeune Charles XII, la Russie s'engage dans la «Guerre du Nord». En novembre 1700, l'armée russe subit une défaite écrasante devant Narva qu'elle assiégeait. En janvier l708, Charles XII franchit la Vistule pour marcher sur Moscou, mais commet l'erreur de se diriger vers l'Ukraine plutôt que de poursuivre son avance vers Moscou, s'éloignant ainsi de ses arrières. La campagne suédoise trouve son issue le 8 juillet 1709 quand les Russes remportent la victoire décisive de Poltava. Douze ans plus tard, le traité de Nystad sanctionnait la victoire obtenue par la Russie face à un adversaire ancien et tenace.
La Russie va ensuite devoir compter avec d'autres menaces venues de l'ouest. D'abord celle, éphémère, de «l'Armée des Vingt Nations» napoléonienne, qui déclenche son offensive le 24 juin 1812 et parvient jusqu'à Moscou, que les Français sont cependant contraints d'évacuer rapidement du fait de l'arrivée de l'hiver et de l'éloignement de leurs arrières. La première «grande guerre patriotique» immortalisée par le Guerre et Paix de Tolstoï manifeste clairement, y compris dans les profondeurs du peuple paysan mobilisé contre l'envahisseur, la naissance d'un sentiment national fait d'attachement à la terre russe, à la tradition orthodoxe et à la personne du tsar, et auréolé de la victoire remportée contre le maître de l'Europe demeuré jusque-là invincible. Ce sentiment sera exacerbé par l'intervention anglaise et française en Crimée en 1856 qui se solde par une humiliation russe. Quand, un demi-siècle plus tard, la Russie est emportée dans la tourmente révolutionnaire, il ne fait guère de doute que les bolcheviks savent instrumentaliser le rejet des interventions étrangères anglaise, française, et même japonaise et américaine en Sibérie - qui ont été engagées en soutien des armées blanches, du Caucase et de la mer Noire jusqu'à Arkhangelsk. L'agression allemande déclenchée le 22 juin 1941 va également mobiliser un patriotisme russe stimulé par les préjugés, les erreurs d'appréciation grossières et les crimes des envahisseurs. Loin des mirages idéologiques du «socialisme réel» ou de «l'internationalisme prolétarien», c'est le peuple russe qui répond à l'appel de Staline et affronte victorieusement, au prix d'immenses sacrifices, la terrible épreuve. C'est ainsi que, au fil des siècles, du lac Tchoudes à Stalingrad ou à Koursk en passant par Poltava et Borodino, la menace extérieure venue de l'Ouest a contribué à l'affirmation d'une identité spécifique fondée sur l'attachement à la terre russe.
«Je t'aime, moi non plus»
Cela n'a pas empêché la Russie de vouloir devenir une puissance européenne. Cependant, à chaque fois, elle y a perdu son rang de puissance capable de présider aux destinées du monde. Certes, au cours de l'histoire, les élites russes se sont occidentalisées et, par périodes, certaines ont pu donner l'impression d'un rapprochement avec l'Europe. On peut néanmoins légitimement se demander si ces partenariats n'étaient pas fondés sur des malentendus. Les espoirs de la Russie ont en tout cas été déçus, à moins qu'elle n'ait elle-même décidé de reculer afin de ne pas trop se compromettre et de conserver son «altérité».
Il en est ainsi du rapprochement avec l'Europe pour lui emprunter son savoir-faire et ses technologies, particulièrement sous les règnes de Pierre le Grand (1672-1725) et Catherine Il (1729-1796). La marine, l'architecture, l'armée et même la langue russe font apparaître, à partir du XVIII siècle, de nombreux stigmates européens. À y regarder d'un peu plus près, qu'il suffise de mentionner l'amiral suisse Lefort ou le général écossais Gordon ou encore les Allemands de la Volga pour constater que ces immigrés se sont rapidement russifiés. D'ailleurs, Pierre le Grand ne l'a-t-il pas clairement exprimé: «L'Europe est
nécessaire pour quelques dizaines d'années, mais nous devrons ensuite nous en détacher».
Dans un contexte différent, Catherine Il, d'abord séduite par les idées universalistes, s'en méfie rapidement puis interdit les ouvrages des philosophes, ferme les loges maçonniques et condamne avec fermeté les moindres initiatives réformatrices, considérées comme révolutionnaires. Le rejet du cosmopolitisme se retrouve à la fin du règne d'Alexandre Ier (1777-1825), puis surtout de Nicolas Ier (1796-1855). Alexandre Ier a mis ses espoirs dans la Sainte Alliance, mais a dû faire face à un sentiment de rejet de l'opinion attachée à la Russie orthodoxe, plus particulièrement lors de l'insurrection grecque écrasée par les Turcs. Nicolas Ier se sent effectivement très européen, mais avant tout comme son «gendarme». Dès lors, il est perçu par les progressistes européens, surtout en France, comme le bras armé de la contre-révolution. La violence de la répression de l'insurrection polonaise ne fait d'ailleurs rien pour arranger cette perception.
Sur une période assez longue et jusqu'à très récemment, la même méfiance permanente s'exprime vis-à-vis des juifs et des catholiques. L'époque tsariste a été marquée par un antisémitisme virulent et pendant la période soviétique. Les juifs sont perçus comme occidentalistes, donc supposés complices des États-Unis. Les catholiques sont soupçonnés de prosélytisme et de fomenter la chute du communisme sous l'influence du Pape polonais. Quant aux prédicateurs protestants, ils sont actuellement considérés comme agissant, ni plus ni moins, pour le compte de sectes. Le rapprochement entamé le 16 août 2012 par la visite exceptionnelle en Pologne du Patriarche de l'Église orthodoxe russe Kiril ne devrait pas fondamentalement modifier les relations entre les deux «poumons de la chrétienté», selon une formule attribuée à Jean-Paul II. Une ouverture est nécessaire en faveur des orthodoxes de Podlachie en Pologne et il en va de même pour les catholiques ukrainiens. Tout au mieux, les deux Églises ont-elles pris conscience d'intérêts convergents en Europe, notamment vis-à-vis de la Turquie ou d'autres sujets de société. Il ne faut pas encore y voir d'alliance, d'autant plus que la diplomatie russe conduite par Vladimir Poutine, dont l'Église orthodoxe est très proche, regarde à présent davantage vers l'Est, ne faisant plus trop d'efforts en direction de l'Europe5.
Au XIXe siècle, la Russie s'est aventurée vers un messianisme «pan-slave», qui a rapidement et à raison été perçu par les cousins de l'ouest et du sud comme étant en fait «pan-Russe», en laissant peu de place aux autres. Au XXe, après la révolution bolchévique ou à la fin de la Seconde Guerre mondiale, certains ont cru apercevoir un rapprochement, voire une fraternité possible entre les mouvements communistes européens et les vainqueurs de la guerre. Cependant, là encore les espoirs ont vite été déçus par un bolchévisme montrant rapidement sa véritable nature répressive et si peu romantique avant de se muer en panzer-communisme brutal et offensif.
Depuis l'échec des années 1990, le divorce est-il consommé ?
Mikhail Gorbatchev a bien tenté des ouvertures à l'Ouest, tout en essayant de faire perdurer le système soviétique à coup de réformes et d'une pseudo-transparence. Il a néanmoins semblé sincèrement convaincu de la proximité identitaire, historique et géographique entre l'Europe et la Russie. Il ira jusqu'à prôner la construction d'une Maison commune européenne mais, malgré son évidence et la chance historique qu'elle représente, il n'y sera malheureusement pas entendu. Débarrassée du fardeau de l'Empire, la nouvelle Russie de Eltsine pense ensuite «retrouver l'Europe», son modèle démocratique et son aisance économique. Elle subira néanmoins de nombreuses humiliations: les discriminations des minorités russes au sein de l'Union européenne dans les pays baltes, l'adhésion des ex-pays frères de l'Est - du moins, vus du côté russe - à la menace directe que constitue l'OTAN, la guerre contre le cousin serbe hors de toute autorisation de l'ONU, ou encore la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo et l'installation dans la foulée d'une base militaire américaine, les révolutions de couleurs aux frontières et slogans anti-russes - même en Ukraine ! -, ou encore le déploiement anti-missiles en Pologne et République tchèque visant à protéger ces pays d'une agression venant de l'Iran.
Alors que le président russe est régulièrement décrié à l'Ouest, plus particulièrement sur un axe Scandinavie-Pologne-Bruxelles-Grande Bretagne-États-Unis, il faut relever qu'après les attentats du 11 septembre 2001 Vladimir Poutine a pourtant cherché à construire un partenariat fort - presque une a lliance - avec l'Ouest et les États-Unis en particulier. Son but a peut-être été de diluer le bloc transatlantique. Cependant, sa motivation principale a plus probablement été de contrebalancer la Chine que la Russie craint à terme davantage. Poutine s'est cependant trompé: le pétrole russe ne remplacera pas le saoudien. Avec les révolutions de couleur, la Russie se convainc une fois pour toutes que les États-Unis persistent à vouloir dominer l'Eurasie. Il se souvient des théories de l'un des pères fondateurs de la géopolitique américaine, Nicholas Spykman: «Il revient aux États-Unis, pour que leur suprématie demeure, d'éviter qu'un État ou un groupe d'États ne parvienne à établir, sous quelque forme que ce soit, une position dominante sur la masse eurasiatique».
Le rapprochement Est - Ouest est en outre bloqué par une méfiance intellectuelle séculaire, amplifiée à l'époque contemporaine. La méfiance entre religions est bien réelle et Moscou se voit toujours en troisième Rome - c'est-à-dire le seul digne successeur de Constantinople pour la suprématie religieuse - même s'il faut reconnaître que les populations sont de nos jours moins concernées par ces questions. Au niveau des idées, la prévention russe à l'encontre des libéraux demeure: vivace sous les tsars, le Russe de la période contemporaine assimile le libéralisme des années 1990 au pillage des ressources, au développement des mafias, à l'insécurité et à la pauvreté. Du côté européen, et notamment français, les clichés et approximations véhiculées par le succès littéraire extravagant du Marquis de Custine sont autant de miasmes qui polluent malheureusement encore l'atmosphère entre les deux extrêmes du continent. De plus, sans nier les vieux démons de la Russie - comme notamment la corruption, l'autoritarisme, la bureaucratie - on peut également regretter que de grands medias persistent à ne mettre en avant que les aspects négatifs du pays. Si le même nombre d'articles était aussi consacré aux (vrais) entrepreneurs comme dans la finance avec Alfa Group, dans le secteur des biens de consommation avec Will Bill Dann, de la grande distribution avec Tander, aux artistes exceptionnels, aux scientifiques remarquables, et à une certaine la résilience de l'économie, l'Occident pourrait avoir une vue plus équilibrée de ses relations avec la Russie.
Chaque fois que la Russie trouve un équilibre entre Europe et Asie, sa puissance s'est renforcée
Alors que l'on a vu l'Ouest russe subir les assauts répétés, la menace venant de l'Est a somme toute été limitée. Certes, le choc de la conquête mongole en 1235 avec Ogodeï, fils de Gengis Khan, a été d'une violence inouïe avec son lot de massacres - la population de Kiev a été réduite à néant. Il a pourtant été suivi d'une relativement longue période de pax mongolica. Jusqu'à la victoire du héros Dmitri Donskoï en 1380, qui constitue d'ailleurs une base du ciment identitaire russe, la coexistence avec les Mongols fut somme toute assez pacifique. Symptôme d'une administration unifiée, la perception de l'impôt a été organisée sur tout le territoire contrôlé par les Mongols, faisant même du prince de Moscou Ivan Kalita (1288-1340) l'agent agissant pour le compte du Khan sur les autres principautés et asseyant ainsi progressivement son autorité de primus inter pares. La liberté religieuse ne fut pas remise en question et l'on sait l'importance de son Église pour la société orthodoxe. D'une certaine façon, on peut également avancer que les Mongols ont permis l'unification des principautés, lesquelles auraient probablement poursuivi longtemps leurs luttes intestines et maintenu leurs divisions. Enfin, si les conquêtes russes vers la Baltique et la mer Noire ont été parsemées d'embûches et de reculades, le développement territorial vers l'Est a été assez facile, qu'il s'agisse des marchands comme les Stroganoff ou des Cosaques qui atteignent le détroit de Béring dès 1650.
À une période plus contemporaine, la révolution de 1917 fait perdre à la Russie des territoires immenses à l'Ouest, alors qu'ils sont maintenus en Asie centrale. Plus récemment, et en simplifiant un peu, la plupart des ex-pays frères situés à l'Est ou dans son «étranger proche» sont restés des alliés relativement fiables, puisqu'aucun pays de la CEI n'a rejoint une structure euro-atlantique. Il demeure d'ailleurs une réelle cohérence entre eux tant sur les échanges que sur les questions de sécurité. Enfin, ces dernières années ont connu de nouvelles initiatives de partenariat: Organisation de coopération de Shanghai6, la Communauté économique eurasienne créée en 2000 par le Kazakhstan et l'Organisation du traité de Sécurité collective qui a vu le jour en 2002.
Substituer le béret pour la chapka
Dans une vision bien «ethno-centrique », l'Occident perçoit la Russie comme étant essentiellement «à l'Ouest», même si l'ours mal léché semble parfois difficile à comprendre et à maîtriser. Il y a d'ailleurs quelques solides arguments pour étayer cette thèse. Cependant, en s'éloignant du consensus et en enlevant notre béret pour coiffer une chapka, on peut constater que la Russie n'est en fait véritablement parvenue à assurer sa puissance qu'en assumant parfaitement sa nature eurasiatique. Les menaces politiques, militaires, économiques, idéologiques et religieuses sont surtout venues de l'Ouest alors que le regard se tournant vers l'Est rencontre l'immensité de la terre russe, laquelle demeure si importante dans l'inconscient populaire.
L'Arctique, comme nouvelle voie maritime du commerce mondial et ses ressources gigantesques non exploitées, les fleuves grandioses faisant apparaître le Rhône en charmante petite rivière, les forêts sans fin et plus prosaïquement les sous-sols regorgeant de matières premières font de la Russie de l'Est le vainqueur chanceux au jeu des «Richesses du Monde»7. Sa proximité avec la Chine, le Japon, la Corée conduisent à des développements considérables déplaçant progressivement son centre de gravité vers l'Asie. Des partenariats bilatéraux forts en Europe, comme avec l'Allemagne, ne seront bientôt que l'arbre cachant la forêt. Pourquoi la Russie s'entêterait-elle à rester ancrée à l'ouest d'un continent en quasi faillite avec lequel son histoire a essentiellement été conflictuelle ? Elle pourrait être tentée d'envoyer Bruxelles et consorts au diable. Quelques solides partenariats bilatéraux suffiront bien pour s'assurer de bons accords commerciaux. En revanche, c'est bien son caractère eurasiatique assumé qui lui ouvre perspectives et facilités. Le chantier est immense, comme la toundra.
Arnaud Leclercq
Article publié dans La Nouvelle Revue Géopolitique
nos 118-119, Octobre à Décembre 2012
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1 Cet article est tiré d'une réflexion plus profonde qui paraîtra à l'automne 2012 sous la forme d'un livre: La Russie, puissance d'Eurasie : histoire géopolitique des origines à Poutine, Editions Ellipses.
2 À la suite de son baptême, Vladimir 1er, aussi connu sous le nom de Vladimir le Grand, imposera le christianisme byzantin aux Russes.
3 Le navigateur fera la rencontre du tsar Ivan le terrible et permettra la libéralisation des échanges commerciaux entre la Russie et l'Angleterre notamment.
4 Nicolas Rïazanovsky, Histoire de la Russie. Des origines à 1984, Robert Laffont, 1984.
5 Arielle Thedrel, Marcin Zralek, «Les Églises russe et polonaise renouent», Le Figaro, 17 août 2012; Arnaud Leclercq, «La Russie peut devenir le puissant allié dont l'Europe a tant besoin», Le Temps, 23 juillet 2012.
6 Voir Ardavan Amir-Aslani, «l'Organisation de Shangai ou la création d'un nouveau bloc de Varsovie», Géopolitique n° 5, juin 2012.
7 Jeu de société dans lequel les participants peuvent acheter, échanger et vendre les matières premières des pays du globe.