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Arnaud Leclercq - Sanctions américaines: quel impact pour les russes fortunés

Sanctions américaines: quel impact pour les russes fortunés?

Le citoyen russe qui dispose d’un patrimoine substantiel se pose aujourd’hui beaucoup de questions. Écartons d’emblée de cette réflexion le Politically Exposed Person (PEP) ou l’employé de l’État. Certaines réglementations restrictives les concernent directement, aussi bien en Russie qu’en Suisse ou ailleurs. Écartons également les Oligarques dont la puissance provient essentiellement des privatisations et dont les armées d’avocats qui les conseillent font que chaque cas demeure très particulier. Pour les autres, l’origine de la fortune actuelle est variée mais est le plus souvent directement liée à l’excellente croissance de l’économie russe : +7% par an de moyenne entre 2003 et 2008, fourchette entre +4 et 2,5% les trois dernières années. Comme dans tous les pays développés, import-export, entrepreneurs, immobilier, introductions en bourse sont les sources qui leur ont permis de dégager des profits personnels élevés. Comme pour beaucoup de pays qui ont connu une Histoire difficile, il est fréquent que le Russe aisé dispose d’actifs à l’étranger prenant la forme soit de comptes bancaires soit d’immobilier commercial ou résidentiel de prestige. Ces placements à l’étranger ne sont habituellement pas réalisés pour éviter l’impôt russe dont les taux très raisonnables font rêver nombre d’Occidentaux. L’objectif est à la fois d’en profiter pour les loisirs ou ses enfants mais également « na tchornyi den ». Et voilà que depuis quelques années et plus encore depuis la crise ukrainienne, ce joli tableau est menacé.

La Fédération de Russie s’est alignée sur les normes de l’OCDE, notamment en restreignant la détention de structures off-shore sans que l’on connaisse les ayants droits économiques, autrement dit les propriétaires réels. C’est donc un critère de transparence internationale qui s’applique désormais. De même, de nouvelles lois et réglementations limitent l’utilisation de comptes à l’étranger pour organiser des investissements vers ou depuis le territoire russe. Cela est certes une situation nouvelle pour l’individu fortuné Russe mais n’a rien de nouveau, et depuis longtemps, pour son homologue Français ou Allemand. Seuls les Britanniques ont maintenu certaines traditions de détentions d’actifs comme les trusts mais là-aussi les choses changent rapidement. Chaque situation de famille est différente et nécessite un bon conseiller, banquier privé ou avocat : un ou plusieurs mariages, enfants ou pas, leurs nationalités ou leur lieu de résidence deviennent un facteur vraiment déterminant, impôts, droits de succession, divorces… Pour éviter cette difficulté, l’erreur fréquemment faite est de chercher toujours la dernière idée à la mode comme déplacer ses investissements à Dubaï ou Hong Kong, plutôt que les lieux traditionnels d’expertise en gestion de fortune que sont la Suisse ou Londres, mais sans véritablement comprendre que malgré certains avantages, ces places sont plus compliquées et, en général peu adaptées, par exemple loi islamique Charia qui s’applique aux successions, distance et culture très différente en Chine. Autre exemple tendance : les statistiques de la Banque Centrale de Russie annoncent en ce moment que de nombreux citoyens vendraient des quantités de roubles pour acheter du dollar. Par définition, nul ne peut prédire l’avenir mais cette décision peut se révéler fatale.

Il y a bien aujourd’hui un sujet qui inquiète unanimement la majorité des Russes fortunés, quelle que soit leur situation personnelle. Les sanctions des États-Unis en réaction à l’annexion de la Crimée et à la situation à l’est du Dniepr. N’ayant aucun précédent historique de cette ampleur, il est peu probable voire impossible qu’un pays puisse geler les comptes de tous les citoyens d’un autre pays, sur son territoire ou partout dans le monde. En revanche, comme l’affaire des sociétés de cartes de crédit américaines l’a montré, il serait assez facilement possible de gêner durablement les gens grâce au dollar. Cette monnaie est bien sûr LA devise internationale mais l’on oublie trop souvent qu’elle est, comme toutes les monnaies, le privilège de l’État qui l’émet. Chaque transfert de dollars, même depuis la Russie ou la Suisse, passe invariablement par une banque correspondante aux États-Unis. Idem pour un transfert en euros qui doit passer par un pays de l’Union. C’est la règle. En théorie, il serait donc techniquement facile d’interdire tout paiement en dollars pour des citoyens ou sociétés d’un pays, simplement en donnant l’instruction à ses banques de ne pas exécuter un transfert si le donneur d’ordre est ciblé ou bien en provenance ou à destination du pays en question. A priori, pas besoin de grandes décisions ou révisions constitutionnelles, juste un ordre donné par le régulateur à ses sociétés financières. Sous cet angle, vendre en quantité des roubles pour acheter du dollar est non seulement négatif pour les grands équilibres de la Russie, et donc antipatriotique, mais aussi à l’évidence une très mauvaise réponse à la menace exprimée. Afin de s’en protéger, plutôt que d’aller à Hong Kong ou la planète Mars, il est beaucoup plus facile et rapide de diversifier ses avoirs en un panier de monnaies de qualité comme le franc suisse, la couronne norvégienne et le dollar singapourien. Un bon banquier privé saura ensuite comment protéger ces réserves des fluctuations, notamment grâce aux «hedges» et offrir une bonne performance grâce à une gestion dynamique. Pour le surplus, le citoyen inquiet des sanctions américaines peut sortir de tout investissement en action ou obligation US. Même si des capitaux sont détenus tout à fait légalement en dehors de la Russie, faut-il alors pour autant les rapatrier pour les protéger ? A condition que le droit russe soit respecté, la réponse est avant tout personnelle mais l’on ne doit pas oublier l’objectif initial vis-à-vis de ses propres besoins et ceux de sa famille, y compris sur le long terme et même encore plus loin si l’on pense à sa succession car nul n’est immortel. Il est en revanche un dernier risque possiblement court terme à ne pas négliger. Si la situation des réserves en devises de la Russie devait continuer à se détériorer, il serait normal et légitime que la Banque Centrale prenne alors la décision de mettre en place un contrôle des changes visant à limiter les ventes de dollars ou les sorties de capitaux. Cela est certainement contraignant pour les citoyens et les entreprises mais s’est déjà produit il n’y a pas si longtemps dans bon nombre de pays. C’est une réaction habituelle d’un État de droit pour protéger ses grands équilibres stratégiques.

Afin de déterminer le niveau de risque auquel on s’expose, il est fondamental de comprendre la différence entre des sanctions grandioses et peu probables par rapport à ce que peut décider très facilement et rapidement un État. Il faut diminuer le niveau émotionnel ou les solutions miracle, écouter les précédents historiques et rester pragmatique.

Arnaud Leclercq

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Qui est Arnaud Leclercq?

Arnaud Leclercq

Citoyen suisse, Arnaud Leclercq est un banquier au parcours atypique, docteur en géopolitique et professeur HEC à Paris. Titulaire d’un MBA de HEC et diplômé de Harvard, il est cadre dirigeant reconnu dans le monde de la gestion de fortune, plus particulièrement avec les marchés émergents. Son livre «La Russie puissance d’Eurasie. Histoire géopolitique des origines à Poutine», publié en France (2013) et en Russie (2015), est désormais une référence. Ses analyses sont régulièrement partagées par les médias.